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Poésie Ancienne et Cetacés Oubliés : Quand les Vers Chinois Révèlent le Déclin du Marsouin Aptère du Yangtsé

Le monde, avec sa propension à l’oubli, néglige souvent les voix du passé. Mais que se passerait-il si d’anciens poèmes pouvaient éclairer le présent, nous guidant dans la lutte pour la survie d’une espèce en voie de disparition ? Une étude récente, audacieuse et ingénieuse, a précisément exploité la richesse de la poésie chinoise pour cartographier l’histoire du marsouin aptère du Yangtsé ( Neophocaena asiaeorientalis asiaeorientalis ), un cétacé d’eau douce dont la survie est précaire.

Nous sommes en 1745. L’empereur Qianlong, poète à ses heures, navigue sur le fleuve Yangtsé. Soudain, une vision le frappe : un groupe de marsouins aptères du Yangtsé surgit des flots. Inspiré, il immortalise cette scène dans un poème, « Les marsouins chassent le clair de lune sur des marées argentées, tandis que les dragons invoquent des nuages d’orage en vue ». Près de trois siècles plus tard, ces vers sont redécouverts, non pas pour leur valeur artistique, mais comme des données scientifiques précieuses.

Le marsouin aptère du Yangtsé, l’unique marsouin d’eau douce au monde, est en danger critique d’extinction. Endémique du fleuve Yangtsé, sa population sauvage est estimée à seulement 1 250 individus. Face à ce constat alarmant, les scientifiques se sont tournés vers les archives littéraires, là où les données officielles restaient silencieuses.

Yaoyao Zhang, écologue à l’Institut d’Hydrobiologie de l’Académie des Sciences de Chine, explique l’importance de cette approche : « Avoir accès aux données du passé nous permet de détecter quand le déclin a commencé et de corréler ces changements avec des menaces potentielles comme la destruction de l’habitat, le changement climatique, la surexploitation, les maladies ou l’introduction d’espèces envahissantes. »

En explorant une vaste base de données de la littérature chinoise, les chercheurs ont déniché 724 poèmes mentionnant le marsouin, chacun étant scrupuleusement vérifié pour éviter toute confusion avec d’autres animaux. Les poètes, observateurs attentifs de la nature, ont capturé les comportements spécifiques de ces créatures, évoquant les « vagues soufflées », les « vagues déferlantes » et les « inclinaisons face au vent ». Des termes précis traduisant un savoir naturaliste qui se perd.

L’analyse de ces poèmes a révélé une contraction alarmante de l’aire de répartition du marsouin, une diminution d’environ 65 % sur 1 400 ans, avec une accélération dramatique au cours du siècle dernier. Alors que les poèmes anciens décrivaient ces animaux dans les affluents et les lacs du Yangtsé, ces références se sont raréfiées avec le temps, témoignant d’un recul de 91 % dans ces zones.

Cette étude, publiée dans Current Biology, met en lumière le potentiel des textes historiques pour reconstituer la distribution passée des espèces et identifier les causes de la perte de biodiversité due à l’activité humaine. Jens-Christian Svenning, macroécologue à l’Université d’Aarhus au Danemark, souligne que cette approche, bien qu’imparfaite, peut être appliquée à d’autres espèces et régions du monde. On peut la considérer comme de la biohistoire, une discipline émergente.

L’équipe de Zhang envisage maintenant d’approfondir l’analyse des poèmes, à la recherche d’informations sur l’état du fleuve Yangtsé dans le passé, la taille des groupes de marsouins et leurs comportements avant leur déclin. Une tentative pour comprendre un écosystème disparu.

Cette recherche met en lumière une vérité dérangeante : la mémoire collective, traduite dans l’art et la littérature, peut être un outil puissant pour comprendre et combattre la crise écologique actuelle. Elle souligne aussi la nécessité de préserver et de valoriser ces témoignages du passé, car ils contiennent des clés pour construire un avenir plus durable. Le silence des archives officielles est compensé par la voix des poètes. Leurs vers, autrefois considérés comme de simples expressions esthétiques, se révèlent être des cris d’alarme, des appels à l’action pour sauver un être vivant et un symbole de la richesse perdue de notre monde.

Cet article a été fait a partir de ces articles:

https://www.scientificamerican.com/article/scientists-use-ancient-chinese-poetry-to-study-endangered-yangtze-porpoise/, https://www.scientificamerican.com/article/what-would-einstein-tell-trump/, https://www.scientificamerican.com/article/agreeing-to-disagree-is-hurting-your-relationships-heres-what-to-do-instead/, https://www.scientificamerican.com/article/cuttlefish-may-communicate-with-discolike-arm-gestures/, https://www.scientificamerican.com/podcast/episode/new-data-released-from-nasas-juno-mission-and-new-satellites-launched-for/

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