On nous serine à longueur de journée que la technologie est neutre, un simple outil à notre service, malléable à souhait. Un marteau, en somme, capable aussi bien de construire une maison que de fracasser un crâne. Mais cette vision idyllique, martelée par les géants de la Silicon Valley et relayée par les médias complaisants, est une dangereuse illusion. La technologie n’est pas une toile vierge, mais un artefact chargé d’idéologies, de biais et de structures de pouvoir qui nous façonnent bien plus que nous ne le façonnons elle.

Le concept de déterminisme technologique, souvent décrié, mérite d’être réévalué. Il ne s’agit pas de croire aveuglément que la technologie est le seul moteur du changement social, mais de reconnaître son influence profonde et souvent insidieuse. Chaque algorithme, chaque application, chaque appareil est le fruit d’une série de choix, conscients ou inconscients, effectués par des ingénieurs, des designers et des entrepreneurs. Ces choix reflètent leurs propres valeurs, leurs propres visions du monde, qui se retrouvent encodées dans la technologie elle-même.

Prenez les réseaux sociaux, par exemple. On nous vend l’idée d’une plateforme neutre, un espace de connexion et d’échange. Pourtant, leurs algorithmes sont conçus pour maximiser l’engagement, quitte à privilégier les contenus sensationnalistes, polarisants et parfois même mensongers. Ils créent ainsi des bulles de filtre, des chambres d’écho où l’on n’entend que les opinions qui confortent nos propres biais, renforçant la division et la désinformation. Est-ce vraiment neutre ? Est-ce vraiment un outil à notre service ? Ou sommes-nous, au contraire, les marionnettes d’un système conçu pour capter notre attention et vendre nos données aux plus offrants ?

L’intelligence artificielle, avec ses promesses d’automatisation et d’efficacité, est un autre exemple flagrant. Les algorithmes d’IA sont entraînés sur des données, et si ces données sont biaisées (ce qui est presque toujours le cas), l’IA reproduira et amplifiera ces biais. On a ainsi vu des systèmes de reconnaissance faciale discriminer les personnes de couleur, des outils de recrutement pénaliser les femmes, et des algorithmes de justice prédire la récidive sur la base de critères raciaux. Loin d’être une solution objective et impartiale, l’IA devient un instrument de reproduction des inégalités existantes.

Le problème ne réside pas tant dans la technologie elle-même, mais dans le discours dominant qui la présente comme neutre et inévitable. Ce discours nous empêche de remettre en question ses fondements, de critiquer ses conséquences, et de proposer des alternatives. Il nous enferme dans une forme de fatalisme technologique, où l’on accepte passivement l’innovation sans se soucier de son impact sur nos vies et sur la société.

Il est temps de briser ce mythe de la neutralité technologique et d’adopter une approche plus critique et plus consciente. Cela implique de comprendre les mécanismes qui sous-tendent nos outils numériques, de déconstruire les idéologies qu’ils véhiculent, et de nous battre pour une technologie plus juste, plus inclusive et plus respectueuse de nos libertés. Il ne s’agit pas de rejeter la technologie en bloc, mais de la réinventer, de la mettre au service du bien commun, et de reprendre le contrôle sur nos propres vies numériques. Car en fin de compte, la technologie n’est pas une fatalité, mais un choix.

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