Le consentement, pierre angulaire de nos sociétés prétendument libres, est-il une illusion ? Une façade derrière laquelle se cachent des mécanismes de contrôle de plus en plus sophistiqués, alimentés par l’innovation technologique ? La question mérite d’être posée, voire martelée, tant il semble que nous glissions insensiblement vers un monde où l’individu, noyé dans un océan de données, n’est plus qu’un pion sur l’échiquier des géants du numérique et des états autoritaires.

L’époque où l’on pouvait ignorer les « conditions générales d’utilisation » sans conséquence est révolue. Aujourd’hui, chaque clic, chaque recherche, chaque interaction sur les réseaux sociaux est aspirée, analysée, et monétisée. Ce que Shoshana Zuboff appelle le « capitalisme de surveillance » est en pleine expansion. Mais qu’est-ce que le capitalisme de surveillance ? C’est un système économique où les données personnelles, extraites de notre expérience quotidienne en ligne, sont transformées en produits vendus à des entreprises qui cherchent à influencer nos comportements. Ce faisant, le consentement est non seulement contourné, mais activement érodé.

Pire encore, l’intelligence artificielle (IA) franchit un nouveau seuil. Les algorithmes prédictifs sont capables d’anticiper nos désirs, nos besoins, et même nos angoisses, avant même que nous en ayons conscience. Cette capacité à « deviner » nos pensées et nos actions permet de nous manipuler avec une précision diabolique. Le « nudging », cette technique qui consiste à influencer subtilement nos choix, devient une arme redoutable entre les mains de ceux qui contrôlent les algorithmes. Imaginez un instant : des publicités personnalisées qui exploitent vos faiblesses les plus profondes, des informations orientées qui renforcent vos préjugés, des choix prédéfinis qui vous incitent à adopter un comportement spécifique. Est-ce encore du consentement, ou une forme d’endoctrinement sophistiqué ?

La blockchain, souvent présentée comme une technologie de transparence et de décentralisation, n’échappe pas à cette dynamique perverse. Si elle peut effectivement renforcer la protection de la vie privée et permettre une meilleure gestion de nos données, elle peut aussi être utilisée pour créer des systèmes de surveillance encore plus invasifs. Les « smart contracts », ces contrats auto-exécutables programmés dans la blockchain, pourraient par exemple automatiser des processus de contrôle social, en limitant l’accès à certains services ou en sanctionnant certains comportements considérés comme « déviants ».

Face à cette menace, il est impératif de réagir. Il ne s’agit pas de rejeter en bloc la technologie, mais de reprendre le contrôle de nos vies numériques. Cela passe par une éducation accrue à la protection des données, une remise en question des modèles économiques basés sur la surveillance, et une régulation plus stricte des algorithmes. Mais surtout, cela nécessite une prise de conscience collective de la valeur de notre consentement, et une volonté farouche de le défendre contre toutes les formes de manipulation. Car si nous laissons le consentement disparaître, c’est notre liberté même qui est en jeu. La technologie est un outil, et il nous appartient de décider si cet outil doit servir à émanciper l’humanité ou à l’asservir. Le choix est encore possible, mais il ne le restera pas éternellement.

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