Dans le concert assourdissant des louanges adressées à la technologie, une dissonance persiste. Celle d’une neutralité revendiquée, d’une objectivité implacable. On nous serine que la technologie est un outil, un simple instrument entre nos mains. Or, cette affirmation, martelée à l’envi, masque une réalité bien plus insidieuse : la technologie est rarement neutre, et son déploiement est inextricablement lié aux structures de pouvoir existantes, souvent pour les renforcer.

La première brèche dans cette façade de neutralité apparaît dès la conception. Chaque ligne de code, chaque algorithme, est le fruit de choix humains, de biais conscients ou inconscients. Ces choix reflètent les priorités, les valeurs et les perspectives de ceux qui les créent, qu’il s’agisse d’ingénieurs de la Silicon Valley ou de chercheurs universitaires subventionnés par des intérêts particuliers. Un algorithme de reconnaissance faciale, par exemple, peut se montrer plus précis pour identifier les visages d’une certaine ethnie que d’une autre, non pas par accident, mais parce que les ensembles de données utilisés pour l’entraîner étaient biaisés. C’est ce qu’on appelle le biais algorithmique, une forme de discrimination indirecte, mais non moins pernicieuse.

Au-delà de la conception, la diffusion et l’adoption de la technologie sont également façonnées par le pouvoir. Les innovations technologiques ne se répandent pas de manière uniforme à travers la société. Elles sont souvent concentrées entre les mains de ceux qui ont les moyens financiers et l’accès aux infrastructures nécessaires pour les exploiter. Pensez à la fracture numérique, un fossé qui sépare ceux qui ont accès à Internet et aux outils numériques de ceux qui en sont privés. Cette fracture n’est pas une simple coïncidence ; elle est le reflet des inégalités socio-économiques préexistantes, amplifiées par l’essor de la technologie.

La promesse d’une technologie démocratisante, accessible à tous et porteuse de progrès social, se heurte donc souvent à la dure réalité d’un capitalisme technologique qui tend à concentrer le pouvoir et la richesse entre les mains d’une minorité. Les géants du numérique, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), exercent une influence considérable sur nos vies, collectant et analysant nos données personnelles à des fins commerciales et politiques. Leur capacité à façonner l’opinion publique, à influencer les élections et à contrôler l’accès à l’information est immense, et soulève de sérieuses questions quant à la souveraineté numérique et à la liberté individuelle.

Mais la subversion est possible. La prise de conscience de cette non-neutralité est la première étape vers une réappropriation de la technologie. Il est crucial de développer une pensée critique face aux discours dominants, de déconstruire les mythes de l’innovation et de questionner les intentions de ceux qui contrôlent les outils numériques. Le développement de logiciels libres et open source, les initiatives de défense de la vie privée et de la sécurité des données, les mouvements de résistance à la surveillance de masse sont autant de pistes à explorer pour contrer la logique implacable du capitalisme technologique et construire un avenir numérique plus juste et plus équitable. La technologie n’est pas une fatalité, mais un champ de bataille idéologique où se joue notre avenir collectif.

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